mercredi 18 avril 2007

Éloge de la non-lecture


Pierre BAYARD, Comment parler des livres que l'on a pas lus ?, Éditions de Minuit, Paris, 2007 (163 pages)

Voici un essai qui va faire jaser chez les critiques et autres gensdelettres. Est-ce bien, affichant titre à la psycho-pop, un guide de non-lecture et de conversation ignare ? Qui, de plus, paraît sous l’austère couverture des éditions de Minuit, qui publient les Duras, Robbe-Grillet et Simon.

De quoi est-il question dans ce livre qui a déjà semé l’émoi dans l’édition française et arrive chez nous ces jours-ci ? Notons que nous nous trouvons dans la paradoxale situation d’avoir eu à le lire, ce qui, en principe, est contraire à la leçon qu’il nous donne.

Présentation sérieuse, de quoi séduire l’universitaire et rebuter le cégépien, avec prologue et épilogue, notes en bas de page et table des abréviations. Pourtant le ton est à la fois plein de finesse et d’humour et tout à fait accessible.

L’auteur, psychanalyste et enseignant, révèle en 163 pages tout sur les différentes manières de ne pas lire. Il montre au non-lecteur que nous sommes comment parler de livres qu’il n’a pas lus, notamment à l’être aimé, à un professeur et dans le monde. Il propose enfin les conduites à adopter face à la lecture et, surtout, à cet objet sacré qu’est le livre. Ceci nous vaut d’agréables heures de lecture, et c’est avec surprise et plaisir que nous nous laissons séduire par ses arguments.

Il appuie sa théorie sur plusieurs auteurs, qu’il n’a évidemment pas tout lus : Balzac, Musil, Valéry, Eco et Wilde, dont il fait sienne la maxime « Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer ».

Il nous encourage, lecteur, à nous libérer d’une « série d’interdits … qui pèsent sur notre représentation des livres et nous conduisent à les penser … comme des objets intangibles, et donc à nous culpabiliser dès que nous faisons subir des transformations », c'est-à-dire dès que nous ne les lisons pas ou que nous ne les lisons pas au complet. Par analogie, il n’est pas nécessaire de boire toute la bouteille pour savoir qu’un vin est bouchonné, ou qu’il s’agit d’un très grand crû.

Selon lui, nul ne lit un livre de la même façon et chaque livre, même si nous ne l’avons pas lu, fait partie d’une bibliothèque collective et intérieure, notamment par ce que les autres, l’école, les médias, nos amis, nous en apprennent. Grâce à notre imagination et à notre culture, nous faisons le livre, et nous le faisons nôtre. Donc, quand nous parlons d’un livre c’est de soi dont il est question. Ne sommes-nous pas un sujet inépuisable, la plus belle des œuvres que nous puissions créer ? Et quand nous parlons des livres, et de nous, c’est à l’autre que nous nous adressons, ce qui nous place en plein dans la civilité.

Par ailleurs, un des effets involontaires de l’essai sera de réconcilier Lucides et Solidaires. Car acheter un livre stimule l’économie et encourage les marchands, côté lucide, et profite aux titulaires de droit d’auteur, côté solidaire. Mais le temps sauvé à ne pas le lire sera lucidement consacré à des activités productives. Et en parler constitue un geste de solidarité qui contribue à la hausse du niveau culturel de la Nation.

En conclusion, loin d’être un manifeste d’inculture, voici un essai libérateur voué à la disparition de toute culpabilité à l’égard des livres et de la lecture et à la découverte en nous de l’auteur caché de notre propre vie. Même si vous choisissiez de ne pas lire, n’hésitez surtout pas à en parler !

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