mardi 28 septembre 2010

On reprend du collier


Long silence dont vous voudrez bien m'excuser, peu de lecture depuis plusieurs jours, encore moins d'écriture. Lundi dernier, à peine levé, je constate que mon ordinateur, sans doute par solidarité avec les travailleurs français, a décidé de déclarer un mouvement social, c'est à dire de cesser de fonctionner. Naguère, j'eus paniqué, que nenni maintenant. Vérification faite auprès de l'Homme qui Sait, le bilan est net : hospitalisation immédiate et disque dur vraisemblablement à la dernière extrémité. Confirmation le lendemain, il faut remplacer ledit disque (quelle allitération !), qui a brusquement pris sa retraite. Peu de documents perdus, mais il faut tout réinstaller. Je rage froidement. Et m'exécute, métaphoriquement. Pour un objet indispensable, certes, mais objet néanmoins. Une bonne partie de mon temps libre y sera consacré, d'autant plus que certains logiciels me donnent du fil à retordre. Mais grâce à l'Homme qui Sait, tout est à peu près revenu en place, et me revoici « informatiquement fonctionnel ».

Mais je n'ai pu terminer la lecture de Sur la route : le rouleau original de Jack KEROUAC. Il est de retour à la bibliothèque, et la liste des réservations est assez longue. Commentaire à suivre. Cela dit, ne vous attendez pas à une analyse de l'œuvre, celle-ci a déjà été faite, et par bien plus compétent que moi en la matière. Pour moi, ce fut la découverte -- je n'avais jamais lu ce texte -- d'une œuvre fascinante, qui tient le lecteur « sur la route », le texte ne comportant aucun paragraphe, aucune césure. Il faut du souffle.

Inachevé également Festivus Festivus entretien de Philippe MURAY avec Élisabeth LÉVY.
En l'espèce, ce n'est pas faute de temps, mais par choix. Je reviendrai également sur les motifs de cette décision. Pour l'heure, je me refais un petite santé de lecture avec Un amour de Swann.

vendredi 17 septembre 2010

Musée des lettres et manuscrits - page d'accueil

Musée des lettres et manuscrits - page d'accueil: "– Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"

Pour qui sera à Paris dans les semaines à venir, voici un lieu où il fera bon de s'arrêter hors du bruit de la ville et du monde. Et prendre son temps.

mercredi 15 septembre 2010

Chez les heureux du monde


Edith WHARTON, Chez les heureux du monde, traduit de l’anglais (É.-U.) par Charles du BOS, préface de Frédéric VITOUX, Gallimard – L’imaginaire n° 417, Paris, 1981 (423 pages). Titre original : The House of Mirth, 1905.

Il n’est pas inutile de noter la précision du traducteur – la traduction n’est pas récente, mais coule comme rivière de diamants – sur le titre original qui fait allusion au texte de l’Ecclésiaste : « The hearth of the wise is in the house of mourning; but the heart of fools is in the house of mirth. » ce qui se traduirait comme il suit :  « Le cœur du sage est dans la maison du deuil; mais le cœur des insensés est dans la maison de la liesse ». On se fera son idée dès lors sur le titre retenu...
Un mot sur l’auteur : frivole et mondaine, la fleur de l’élite de la Nouvelle Angleterre, et indépendante, a-t-on à la même époque, comme on lui en a tenu rigueur, reproché à GIDE, à PROUST et à tant d’autres de n’avoir pas à gagner leur pain quotidien ? Il faut dire que certains de ses contemporains, dont Henry JAMES, ont pu échanger quelques œillades latérales à la mention de celle qui obtenait un succès certain dans l’exercice du si mâle métier d’écrire au lieu de se réserver, avec les personnes du sexe, au bridge et autres bonnes œuvres de la société. C’est ainsi que, par une perverse métonymie, les traits de la personne en sont venus à qualifier ses romans.
Comme certains s’imaginent en Nouvelle France que, par exemple, Mlle B*** prend place dans la littérature du fait qu’on achète, encore et toujours, le fruit de sa plume trempée à l’eau bénite alors qu’il est clair que ses œuvres ne feront jamais d’elle qu’une livreuse – productrice de livres – et non un écrivain, beaucoup croient qu’Edith WHARTON n’a qu’un talent de riche et d’oisive et, qu’en conséquence, on peut ignorer, sinon mépriser, son œuvre et se contenter d’en apprécier le canevas une fois celui-ci transfiguré grâce au savoir-faire des metteurs en scène qui ont eu la bonté de sauver tel ou tel roman de l’oubli. Ceux-là se leurrent.
Ceux qui, en revanche, entreront, pour quatre cents pages, chez les heureux du monde, y découvriront un monde où le blanc des ombrelles sur le vert des boulingrins trompe tout comme la surface plane d’une eau profonde cache le courant violent des profondeurs. Miss Lily Bart sera la victime impuissante d’une machine, qu’elle a lancée par un tout petit mensonge dès les premières pages du livre, qui la rejettera bien loin de la prestigieuse Fifth Avenue.
N’est-ce pas l’ombre inquiétante du Père Goriot qui assombrit le tableau peint par l’auteur dans de tendres tons pastels – un sang d’aquarelle aurait écrit Sagan – où les rires des protagonistes dissimulent – ah ! la dissimulation des puissants – les tremblements funestes qui menacent Miss Bart ? Elle, si fragile, naïve et intègre, qui n’a ni argent de famille «... le seul moyen de ne pas penser à l’argent, c’est d’en avoir beaucoup », ni mari fortuné.
Le lecteur sera porté par un style tout de finesse et d’esprit, on rit beaucoup dans ce roman tragique, dont on lira un exemple dans le portrait de l’agent principal de la chute de Miss Bart, Mrs. George Dorset qui monte dans le train, page 50, « ... diffusant autour d’elle ce sentiment d’exaspération générale que crée assez souvent une jolie femme en voyage. Elle était plus petite et plus mince que Lily Bart, avec une flexibilité agitée, – comme si elle avait pu se contracter et passer à travers une bague, pareille aux draperies sinueuses dont elle aimait à se parer. Sa petite figure pâle semblait n’être que la monture de deux yeux sombres et agrandis, dont le regard visionnaire contrastait curieusement avec son ton et ses gestes très décidés, – en sorte que, selon la remarque d’un de ses amis, elle avait l’air d’un esprit désincarné qui occuperait beaucoup d’espace ».
Lecteur, fréquente un moment ces heureux du monde : ils sont étonnants et effrayants, au sens classique de ces termes.

lundi 13 septembre 2010

La carte et le territoire

Michel HOUELLBECQ, La carte et le territoire, Flammarion, Paris, 2010.

Le nouveau roman de Michel HOUELLBECQ est arrivé sur les présentoirs des libraires. Écoutez l'auteur (comme vous ne l'entendrez jamais à l'émission de l'agitée de la Première chaîne) dans Répliques sur France Culture.

Répliques : La carte et le territoire

Un clic sur le titre vous conduit à la page de l'émission Répliques.

samedi 11 septembre 2010

Tout se pète la gueule, chérie

Une fois n'est pas coutume, un spectacle de danse actuelle au Théâtre La Chapelle :

Tout se pète la gueule, chérie

Distribution : Frédérick GRAVEL, Stéphane BOUCHER, Nicolas CANTIN et Dave SAINT-PIERRE.

Un clic sur le titre vous donnera la programmation de toute la saison.

Le clip promotionnel pour le FTA :


jeudi 9 septembre 2010

Reprise : La dent dure

Jean-Paul CARMINATI, La concordance des dents, Points Virgule n° 15, Paris, 2001 (158 pages).

Qui n’a pas, dans une salle d’attente vert aquarium, trituré un magazine désuet avec la photo de quelque Céline, Johnny ou autre GRIMALDI les doigts moites d’angoisse, l’oreille aux aguets et le cœur battant la breloque ? Chez le dentiste. Où l’on se dit que, tout compte fait, on aimerait mieux marcher sur des charbons ardents dans une ordalie que de sentir encore une fois la fraise – et pas de celles du printemps – contre sa dent.

Or voici que Jean-Paul BERGAMO, notre héros, qui n’a même pas vingt ans, se fait confirmer par son dentiste que sa bouche fout le camp. Dents, gencives, mâchoires, tout est de guingois et s’en va à vau-l’eau. Il sera condamné à brève échéance à sucer ses pâtes ALTEAF (à la tomate et au fromage), ce qui est un comble, et à avoir un profil à la Voltaire.

D’où la nécessité d’une chirurgie et de traitements d’orthodontie. Extractions, fils de fer, appareils de rétention, alimentation liquide, milk-shake au camembert et la valse, autour de sa bouche, et pourquoi pas de son nez, tant qu’à y être, de tous les spécialistes compétents.

« Ça fait mal, hein ? » dit l’assistante à chaque rendez-vous. De quoi vous décourager de siffler le premier mouvement de la partita pour flûte seule de Bach. Mais pas de lire ce court roman.
Présentation de l'éditeur
« "En me réveillant, vers 23h45, j'ai pensé comme ça : Bergamo, ta bouche fout le camp. " À l'origine, c'est une simple négligence : une dent en avant qu'on feint d'ignorer, des parents trop occupés pour prendre rendez-vous chez le dentiste. Quinze ans plus tard, c'est un cauchemar qui commence. Mais un cauchemar burlesque. Adieu spaghetti qu'on aspire et mélodies qu'on sifflote gaiement ! Livré pieds et poings liés aux mains du corps médical, le visage déformé par les appareils dentaires, Bergamo découvre à ses dépens que la vie ne tient parfois qu'à une dent... Des passages irrésistibles de drôlerie, d'autres poignants et inquiétants, une écriture très maîtrisée, maniant avec beaucoup d'élégance la distance et le second degré. Une surprenante exploration de la condition humaine par la face dentaire. »

Un été avec Philippe SOLLERS

« Lire, c'est entendre »

Je viens de terminer il y a quelques minutes, profitant d'une visite chez le dentiste, ou, pour être plus précis, du trajet pour me rendre à son cabinet et en revenir, l'écoute du dixième et dernier épisode ce cette série de France Culture. Et bien j'avoue avoir été complètement séduit. Je le connaissais certes, ayant lu quelques uns de ces essais et l'ayant vu, dans les années d'autrefois, aux divers Apostrophes, Caractères et autres Bouillons de culture, où il tenait bien son rôle. J'avoue aussi avoir été trompé par ce qu'il appelle « le film » où on lui a donné le rôle du vilain de la République des Lettres, où, comme chacun le sait, LE CLÉZIO tient celui de LUCKY LUKE. Je vais donc y  revenir et examiner les choses de plus prêt. Nous avons déjà en commun une passion pour le XVIIIe siècle, une aversion pour la doxa de l'animation culturelle, une préférence pour STENDHAL sur FLAUBERT.

Pour l'heure, je vous invite à écouter ces entretiens, un clic sur le titre vous ouvre, comme d'habitude la page de France Culture, et le lien ci-dessus, celle de la dernière émission.

mardi 7 septembre 2010

Première sélection pour le Goncourt

Si votre vie littéraire en dépend...

Olivier Adam pour Le coeur régulier (L'Olivier)
Vassilis Alexakis pour Le premier mot (Stock)
Thierry Beinstingel pour Retour aux mots sauvages (Fayard)
Vincent Borel pour Antoine et Isabelle (S.Wespieser)
Virginie Despentes pour Apocalypse bébé (Grasset)
Marc Dugain pour L'insomnie des étoiles (Gallimard)
Mathias Enard pour Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (Actes Sud)
Michel Houellebecq pour La carte et le territoire (Flammarion)
Maylis de Kerangal pour Naissance d'un pont (Verticales)
Patrick Lapeyre pour La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L)
Fouad Laroui pour Une année chez les français (Julliard)
Amélie Nothomb pour Une forme de vie (Albin Michel)
Chantal Thomas pour Le testament d'Olympe (Seuil)
Karine Tuil pour Six mois, six jours (Grasset)

lundi 6 septembre 2010

Ménage


Jamaica KINCAID, Mon frère, traduit de l'anglais (États-Unis par Jean Pierre CAROSSO et Jacqueline HUET), Édition de l'Olivier, Paris, 2000 (193 pages) – Titre original : My Brother, 1997; repris dans la collection Points Seuil.

Un petit ménage de mes rayons, qu'il faut savoir, de temps à autres, alléger, et je tombe sur le roman de Jamaica KINDAID que j'avais beaucoup aimé. J'ai aussi retrouvé mes notes de lecture, que je vous offre en prime pendant que je poursuis mon voyage Sur la route avec Jack KEROUAC.


À Antigua, le frère de la narratrice, au vrai un demi-frère, est mourant « couché à mourir » ; puis il est mort. Récit en deux parties : un pendant et un après. Qui appelle un avant où la maladie, « cochonnerie », servirait de prétexte à un dévoilement par la mémoire des liens unissant la narratrice à sa famille. Je n'arrive pas, pourtant, à qualifier le récit d'autobiographique, même si la narratrice est manifestement l'auteur. Sans doute parce que le travail sur la langue – signalons celui des traducteurs –, qui incorpore transposé en créole guadeloupéen celui d'Antigua, et le style, à la fois dépouillé et quasi incantatoire, produisent un objet littéraire bien à part.

« Et quand j'ai revu mon frère pour la dernière fois, vivant, de cette espèce de manière qu'il avait d'être vivant (mort en fait, mais respirant encore, sa poitrine se soulevant et s'abaissant, son cœur battant comme quelque chose, battant comme quelque chose, mais quoi, mais quoi ? il n'y avait pas de métaphore, son cœur battait comme un cœur, seulement il battait à peine), j'étais si fatiguée qu'il soit dans cet état, pas vivant, pas mort, mais constamment avec ses exigences, dans le besoin, constamment, avec ses nécessités, pesant sur ma compassion, chaque fois que ça lui prenait, j'en avais marre de lui et je voulais qu'il s'en aille, et peu m'importait qu'il guérisse et peu m'importait qu'il meure. C'était précisément ce que j'éprouvais… je voulais seulement qu'il fasse l'un ou l'autre et puis qu'il me fiche la paix. »
Ce frère on connaît le nom de sa maladie, le sida, bien avant d'apprendre le sien ; les personnages sont d'ailleurs identifiés par leur fonction familiale : pères, frères (le pluriel est voulu) et surtout mère, cette Mrs DREW. Trop d'enfants, la pauvreté à combattre, la mort qui bouleverse le cours de la vie. Ah ! la mère. Ne serait-elle pas le pivot de cette histoire ? Même rejetée au fond de la haine – tel refuse la nourriture qu'elle lui prépare, l'autre de l'appeler autrement que Mrs DREW –, elle habite chacun de ses enfants, même croyant faire le bien elle les marque à tout jamais de ce qu'ils auront beaucoup de difficulté à qualifier d'amour maternel. Oui, elle est déterminante en ce qu'après avoir donné la vie à ses enfants elle détermine le cours de cette vie. C'est ainsi que la carrière littéraire de la narratrice jaillira de l'autodafé de ses livres. Jetés au feu par la mère parce que la fille aurait flirté avec un jeune homme, pour que la fille ne devienne pas la mère de dix enfant de dix pères. Comme tant de femmes à Antigua.

Pour le reste, le hasard autant que les souvenirs dessineront le personnage de Devon, le frère inconnu, malade et bientôt mort : car, en dépit de tout ce qu'on sait de quelqu'un ou qu'on peut découvrir sur lui, même un proche, même un parent, peut-on jamais le connaître ? Si ce n'est, peut-être, par un livre ?

« Je suis devenue écrivain par désespoir, de sorte que quand j'ai appris que mon frère était mourant, j'étais familiarisée avec l'acte qui me sauverait : j'écrirais à son sujet. J'écrirais au sujet de sa mort. […] j'ai commencé à écrire au sujet de ma propre vie et j'en suis venue à voir que cet acte m'avait sauvé la vie. Quand j'ai appris que mon frère était malade et qu'il allait mourir, j'ai su, instinctivement, que pour le comprendre, ou pour tenter de comprendre sa mort, et pour ne pas mourir avec lui, j'écrirais à ce sujet. »
J'ai souvent, au cours de ma lecture, pensé aux romans d'Hervé GUIBERT, notamment au Protocole compassionnel, évidemment à cause du sujet. Pourtant le traitement (le mot est étrange n'est-ce pas ?) est ici bien différent, Jamaica KINCAID prenant appui sur le « pendant » et l' « après » de la mort pour laisser la mémoire restituer l'avant – la vie –, tout ce qui a été, pour elle et sa famille, et qui la conduit, elle narratrice et nous lecteur, au présent. Irrémédiablement marqués, transformés.

La littérature, ça sert aussi à ça. Non ?

dimanche 5 septembre 2010

Jeu d'épreuves

La première émission (samedi 4 septembre, j'ai un peu de retard) de cette nouvelle saison. C'est une de mes émissions « littéraire » favorite, on peut s'y abonner :

Jeu d'épreuves

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Culture d'en haut, culture d'en bas : post scriptum

Je regarde de temps à autres la captation de pièces de théâtre à la télévision. Après avoir vu un Macbeth avec Ian McKELLEN et Judy DENCH et n'ayant pas trouvé, dans la vidéothèque iTunes de Richard III, je me suis rabattu sur le film d'Al PACINO de 1989, Looking for Richard (bande-annonce), que j'avais bien aimé à sa sortie en salle mais n'avais pas revu depuis.

Eh bien, je n'aurais pas pu trouver meilleure illustration pour la thèse de l'essai Culture d'en haut, culture d'en bas. Notamment en ce qui touche l'étrange relation entre la Grande-Bretagne et les États-Unis quant à la possibilité et à la manière de jouer Shakespeare. Et aussi sur Shakespeare lui-même : l'expérience d'un « micro-trottoir » est à cet égard révélatrice.

samedi 4 septembre 2010

L'amour sur la toile

Intéressante émission Répliques ce matin portant sur les rencontres par Internet. Un clic sur le titre vous ouvrira la page de l'émission.

Culture d'en haut, culture d'en bas

Lawrence W. LEVINE, Culture d'en  haut, culture d'en bas -- L'émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis, traduit de l'anglais par Marianne Wollven et Olivier Vanhée, préface de Roger CHARTIER, titre original Highbrow/Lowbrow. The Emergence of Cultural Hierarchy In America (1988), Éditions La Découverte, Paris, avril 2010 (336 pages).

Le monde de l'édition a parfois de ces lenteurs qu'on se saurait, comme cela a été fait pour telle symphonie de Schubert, qualifier de divines. Plus de vingt ans pour traduire en français cet important ouvrage : on s'interroge sur l'américanophilie de nos chers cousins. Et quand on la compare à leur anglophilie d'il y a un siècle -- lisez Proust -- on ne s'étonne pas que, j'ose l'anachronisme, l'attrait du bling-bling  l'emporte, en matière d'édition comme de mode sur le goût, c'est là leur côté Odette de Crécy. Il m'arrive de me demander si nous sommes si différents, mais c'est là une toute autre affaire, et baste de la digression.

Céline DION ou Cecilia BARTOLI ou comme on dirait en anglais lowbrow ou highbrow ? Zat  iz ze kwechtion.Autrement dit d'où nous vient cette notion qu'il y a une hiérarchie culturelle, du populaire et de l'élitisme ? Je donne la parole à l'auter :

« L'une des thèses centrales de cet ouvrage est que, les catégories primaires de la culture étant le produit d'idéologies qui ont sans cesse été sujettes à modifications et transformations, les périmètres de nos divisions culturelles ont été bien plus perméables et variables que fixes et immuables. »

Voici qui semble fort sérieux pour un samedi matin du début de septembre. Résumons : il s'agit d'une étude sur la fragmentation de la culture « américaine » développée sur deux axes : Shakespeare et l'opéra. Avec, au passage, des thèmes qui nous sont très familiers, comme le complexe d'infériorité du Nouveau Monde envers la vieille Europe, et inversement le phénomène de rejet, comme élitiste, des manifestations ou formes culturelles de la seconde. N'a-t-on pas connu dans les années soixante quelque chose de semblable avec les polémiques autour du joual et du bon français ?

On apprend ainsi que si Shakespeare était toujours considéré au début du XIXe siècle comme un auteur populaire, et joué un peu comme on joue dans nos théâtres de variétés, il est devenu, essentiellement après la guerre de Sécession, d'avantage un auteur pour public cultivé, ou qui se voulait tel, ou qui se représentait comme tel. Cela peut sembler insignifiant, mais le sang a coulé, et pas seulement métaphoriquement : les émeutes de l'Astor Place, le 10 mai 1849 ont fait vingt-cinq morts et plus d'une centaine de blessés, où les partisans d'un comédien américain ont affronté ceux d'un comédien anglais.

Bref, on constate que la notion de culture évolue, du moins change, avec le temps et les catégories culturelles tendent à se brouiller, et les différents secteurs des arts voulant élargir leur public essaient de se « démocratiser » : surtitres à l'opéra, expositions blockbusters dans les musées. Doit-on y voir la marchandisation de la culture et sa mutation en ce qu'on appelle désormais les industries culturelles ? Le débat est encore et toujours vif entre les tenants du highbrow et ceux du monde ordinaire. L'intérêt du livre de LEVINE est de nous montrer qu'il s'agit là de débats idéologiques et que, contrairement à ce que l'on croit, ou aimerait croire, il n'y a pas, ni, semble-t-il, jamais eu de Haute Culture, ni de Basse Culture, mais que des marques de distinction sociale. Pour simplifier, on irait à l'opéra comme on s'affiche en Porsche : pour se différencier, pour se retrouver entre soi. Et l'on songe aussitôt à Régis DEBRAY, mais il est temps de fermer ce billet déjà assez bavard.



Un clic sur le titre de l'article ouvre la page de l'éditeur.

jeudi 2 septembre 2010

Citation

Entendu au cours de son émission Répliques, sur France Culture, portant sur Philippe MURAY, Alain FINKIELKRAUT citer CIORAN :
« À tel point le doute sur soi travaille les êtres que pour y remédier ils ont inventé l'amour, pacte tacite entre deux malheureux pour se surestimer, se louanger sans vergogne. »