lundi 30 mai 2011

Soudaine mélancolie

Italique
Dominique NOGUEZ, Soudaine mélancolie, Manuels Payot, Paris, mai 2010 (79 pages).

Rassurez-vous lecteurs, je ne donne pas dans la délectation morose, le temps ne fait rien à l'affaire, chantait déjà BRASSENS, pas plus que quelque péripétie sentimentale venue me distraire, « Putain de toi » chantait-il encore.

Quand un aphorisme fait mouche, par exemple, sur l'amour notamment-- quelle folie ! --, pourquoi se priver du plaisir de le partager ? Ceux qui savent, savent et apprécient; les autres apprécieront, c'est déjà ça.

C'est ce que NOGUEZ nous offre, et pas seulement sur l'amour, sur la vie moderne et ses travers, bref, sur l'Homme, qu'il soit en société ou seul avec lui-même. Mélancolie : bile noire des anciens. Ne vous y trompez pas, tout comme dans le petit livre de Lucien JERPHAGNON sur la sottise, on prend du plaisir à réfléchir à partir de ces petits bouts de texte, et l'on ouvre les yeux sur soi grâce à l'image de l'être humain qu'ils nous restituent. Réfléchir sur soi n'est pas mauvais, pour peu que l'on sache glisser. L'aphorisme de NOGUEZ tient du potage aigre-doux de la cuisine chinoise.
« Aimer, c'est se fabriquer, avec l'aide plus ou moins consentante de quelqu'un, un ou deux souvenirs qui ensuite, bien plus tard, vous arracheront des larmes. »
Pas toujours plus tard...

Présentation de l'éditeur
« Un jour de septembre 2009, je marchais rue de Rennes avec un léger vague à l'âme, un titre m'est venu et m'a trotté dans la tête : Soudaine mélancolie. Tout à fait celui qu'il me faudrait, me suis-je dit, pour les aphorismes modérément exaltés que j'écris de temps à autre. Cela ferait un beau livre d'automne. Même en mai. Dominique Noguez »

dimanche 29 mai 2011

Citation - Dominique NOGUEZ

« Le drame humain, dont témoignent tous les rituels des religions, tous les arts et toute la littérature, c'est la mort. Non seulement la mort terminale, qui fait que la vie s'arrête -- mais cette mort frappant dans le vie même qu'est l'amour déçu, l'empêchement de trouver le bonheur avec un être. Contrairement à l'autre, cette mort-là peut se répéter et certains meurent à la fin avec les cicatrices de quatre ou cinq amours ratés. »

Pour la « mort terminale », étrange expression, MALRAUX disait trépas.

Pour moi, je parlais récemment de fin du monde.

Citation extraite de Soudaine mélancolie.

vendredi 27 mai 2011

Mélancolie


Dominique NOGUEZ, Soudaine mélancolie, Manuels Payot, Paris, 2010 (80 pages).

En fouillant les rayons des nouveautés à la bibliothèque, les livres y sont grosso modo placés en vrac à l'intérieur de grandes catégories, je suis tombé sur ce petit recueil de pensées de Dominique NOGUEZ que j'ai savouré entre deux sushis.

jeudi 26 mai 2011

La sottise


Lucien JERPHAGNON, La sottise (vingt-huit siècles qu'on en parle), Albin Michel, Paris, octobre 2010 (131 pages).

Il ne s'agit pas d'un sottisier, vous n'y trouverez nulle perle, aucune citation de Venise Bombardée, comme dirait FOGLIA*.

On aimerait faire le tour de la question, et, d'ailleurs on a tous son sot, sa sotte (la mienne est fort prospère là où naguère je gagnais mon pain à la sueur de mes mots), et pourtant, on doit bien, parfois, être le sot de quelqu'un, songeons à SARTRE et à son « L'enfer, c'est les autres. » Objectivement, comment définir la sottise, peut-on la définir ?

CHAMFORT : « Il y a fort à parier que toute idée publique, toute convention reçue est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre. »

Rien à faire avec le savoir : « Il peut se faire qu'ornée du baroque des connaissance accumulées, la sottise grandisse en majesté et n'en soit que plus malfaisante. » Et pourtant, nul milieu, nulle classe n'y échappe.

JERPHAGNON le sage, mais toujours vif, nonagénaire, dont a a aimé il y a peu le Les dieux ne sont jamais loin, nous offre quelques fleurs cueillies sur près de trois millénaires, -- elles n'ont rien perdu de leur fraicheur -- et réfléchit à la question de la sottise en se demandant « Mais alors, que penser et, que faire ? ». Une façon point sotte de réfléchir, somme toute, à notre humaine, si humaine, condition.

*Pour nos lecteurs des antipodes, Pierre FOGLIA est billetiste au quotidien montréalais La Presse, Venise Bombardée -- Denise Bombardier -- une dame de Très Grande Vertu qui sévit encore et toujours dans les médias québécois et a eu quelques minutes de gloire en s'agitant chez PIVOT; elle croit écrire.

La maison de thé


Jacques TOURNIER, La maison de thé, Seuil, Paris, mars 2011 (86 pages).

Un grand thé vert de Chine, tenez : un Huang Shan Mao Feng; il est seize heures, la brume se lève, mais il reste un fond de fraicheur dans l'air.

De préférence chez vous, il y a des choses qu'on ne peut faire bien que chez soi, qui requièrent une certaine tranquillité.

Pas de musique, la rumeur de la ville suffira.

Entrent les fantômes.
« Je suis assis dans une maison de thé aux parois de toile tendue sur des cadres de bois qui s'encastrent sans bruit l'un dans l'autre. [...] J'ai fait un long chemin dans ce jardin initiatique des environs d'Amsterdam qui raconte un parcours de vie. [...] Il ne me reste à parcourir que l'étroite pelouse de la sérénité, décorée de bonzaïs, qui accompagne la vieillesse jusqu'au tumulus de la mort, veillé par un chêne centenaire. [...] Cette pelouse de la sérénité, il faut la traverser inexorablement. Je la vois devant moi, sur l'autre rive du petit lac, à travers la porte entrouverte. Je ne sais rien d'avance, ni du temps qu'il faudra, ni de cette sérénité avec laquelle je la traverserai. Je sais seulement que j'ai rejoindrai à mon tour cet inconnu, qui m'a laissé pour héritage une image éblouie du corps dont je suis né. »
Quelques romans, des traductions et, surtout, une longue vie de rencontres, voilà Jacques TOURNIER. Des ombres passent: Scottie, la fille de FITZGERALD; Jane AVRIL au Divan Japonais; une vielle comtesse au château de Malromé parle de son fils parle son fils, à qui « Monsieur DEGAS, a dit, en lui touchant l'épaule : " Ça, LAUTREC, on voit que vous êtes du bâtiment. " »; l'ange PHILIPPE; quelques actrices; BARBARA au rire franc et à la Mercedes où elle tricotait : « Si un jour je ne chante plus, je me flingue ».

Oui, la brume se lève, les rideaux frémissent, le temps est suspendu. La douceur de la sensibilité.

Présentation de l'éditeur :
« Jacques Tournier a demandé à Hugo, un enfant de six ans attentif et curieux, de faire avec lui un voyage immobile. Ses questions sur ses souvenirs, ses rencontres, lui ont permis de mesurer ce qui sépare celui qui a presque fini de vivre de celui qui commence à peine. " C'est mon professeur d'innocence et je m'enterre dans sa mémoire. " La maison de thé est la dernière étape d'un parcours de vie, un lieu de paix où l'on se repose avant de se diriger sereinement vers le tombeau. Jacques Tournier s'y est attardé longtemps et a vu certaines images de son passé traverser les portants de toile, d'un mot à un autre, sans ordre chronologique, selon les caprices de sa mémoire. Il a revu ceux qui l'ont accompagné un temps. Des gens de théâtre : Gérard Philipe, Yvonne Printemps et Pierre Fresnay, Suzanne Flon. Il a réentendu le piano de Barbara, regardé de nouveau les toiles de Carpaccio, celles de Toulouse-Lautrec et celles de Chardin, retrouvé à travers la musique de Chopin, George Sand et Nohant, et la voix de Pauline Viardot qui l'ont entraîné vers d'autres voix de femmes. Mais aussi deux écrivains qu'il a découverts mot à mot, en les traduisant : Carson McCullers et Fitzgerald. Une vie de rencontres et de curiosités, celle d'une âme sensible au cœur de son époque. »

dimanche 22 mai 2011

Apologie du livre


Robert DARNTON, Apologie du livre - Demain, aujourd'hui, hier, Gallimard, Paris, janvier 2011 (218 pages); The Case for Books: Past, Present and Future, traduit de l'anglais (É.U.) par Jean-François SENÉ.

Je poursuis avec ce recueil d'articles et de cours essais de Robert DARNTON, historien et un des fondateurs du projet gutemberg-e, mon voyage dans les livres sur les livres entrepris avec le Dans le palais des livres de Roger GRENIER il y a maintenant quelques semaines. Où il est question du livre en tant qu'objet, son histoire et son avenir, et aussi de l'utilisation qu'on en fait et que, sans doute, on en fera.

Un reproche : les textes de l'édition américaine ont été remaniés et condensés, sans doute pour éviter les redites -- il en subsiste quand même un certain nombre --, mais on sent néanmoins les coutures. Je suggérerais donc au lecteur de ne pas lire l'ouvrage d'une seule traite. Il n'y a en effet aucun inconvénient à prendre son temps et à réfléchir sur le propos de l'auteur, lequel n'est pas, par ailleurs, traité d'une façon trop technique ni trop érudite.

Le chapitre qui m'a, ainsi, beaucoup intéressé porte sur l'évolution de la pratique de la lecture. En particulier celle qui consistait, pour le lecteur, à reproduire des passages et à les commenter. Pratique fort répandue du XVIe au XVIIIe siècle, et tombée en désuétude depuis; mais qui pourrait peut-être renaître, notamment sur les blogs.


Fort utiles aussi les articles sur la numérisation des livres des bibliothèques, où l'auteur s'interroge sur l'éventuelle mainmise d'entreprises privées, telles Google -- laquelle occupe une position quasi-monopolistique dans le domaine -- sur l'accès aux livres. Prenons garde que pour celle-ci les bibliothèques sont moins des temples du d'avoir que des actifs potentiels à exploiter. Commercialiser les collections numérisées sans se soucier de prévoir le libre accès à tous ferait d'Internet un instrument de privatisation d'un savoir qui appartient à la sphère publique. Pourra-t-on encore citer Thomas JEFFERSON : « Je considère la diffusion des Lumières et de l'éducation comme le meilleur moyen d'améliorer la condition, de promouvoir la vertu et d'assurer le bonheur des hommes » si l'accès aux « Lumières » est entre les mains d'un monopole ?

S'agissant du progrès, que certains se plaisent à croire inéluctable, l'auteur rappelle, dans des passages qui donnent froid dans le dos, comment des collections entières ont été dispersées ou même détruites par des bibliothécaires qui voyaient dans le transfert de celles-ci sur microfilm la seule façon de les préserver tout en économisant de l'espace.

Il convient d'envisager l'électronique non pas comme une rivale du support physique, mais comme une possibilité supplémentaire d'accéder au savoir. Mais, comme souvent, on peut redouter les effets pervers du « tout à l'économie ». Si, par malheur, l'électronique devait tuer le livre, notre monde risquerait un effroyable appauvrissement culturel : il suffit de lire le chapitre sur l'édition des œuvres de SHAEKESPEARE pour s'en convaincre.

Voici, en conclusion, la table des matières, dont vous apprécierez sans doute, justement, le côté XVIIIe siècle :

La lecture et ses mystères : Où l'on découvrira à l'ère du zapping numérique l'importance voilà quelques siècles des recueils de citations qui permettaient aux lecteurs de mettre en forme la matière du monde

Que nous apprend sur demain l'histoire du livre : Où l'on découvre pourquoi une réflexion sur l'avenir du numérique passe par la connaissance des circuits du livre dans le passé

Le paysage de l'information et l'instabilité des textes : Où le lecteur découvre, d'Internet à hier, combien et comment les processus de transmissions modifient les textes mêmes --
Un excursus pour les fans de Google : Shakespeare ou la nécessité démontrée de conserver plus d'un exemplaire d'un livre --
Où le lecteur conclura de l'excursus que le rôle des bibliothèques devient essentiel à l'ère du numérique

L'avenir des bibliothèques : Où l'on se demandera ce qui pourrait être une République numérique des Lettres
Google et l'avenir du livre
De la différence entre des bibliothèques et Google

Mort du livre ou mort du papier : Où le lecteur comprend, à la suite de l'historien, mais un peu tard, que le papier n'est pas entièrement remplaçable par le papier

Sur les prophéties annonçant la mort du livre : L'avenir est-il aux journaux sans nouvelles, aux revues sans pages et aux bibliothèques sans murs ?
Voir aussi l'article du 7 mai 2011 : Citation.

Présentation de l'éditeur

« Voici venu le temps des petits prophètes. Ils susurrent que le papier est voué à disparaître, ils se réjouissent de la mort du livre, qui les dispense, croient-ils, d'en lire, ils clament l'avènement du tout-numérique et de sa révolution. Mais l'univers des prophéties est loin de notre monde réel. Robert Darnton met en parallèle les moyens électroniques de communication avec la puissance libérée par Gutenberg voilà plus de cinq siècles, il en mesure les effets anthropologiques sur la lecture, il aune les avantages mutuels qui lient bibliothèques et Internet, il examine enfin nombre de problèmes d'ordre pratique, c'est-à-dire culturels - par exemple, pourquoi maintenir les acquisitions de livres imprimés tout en accroissant la place faite au numérique, support désormais privilégié par les jeunes générations ? Comment légitimer les monographies numériques aux yeux des conservateurs pour qui un livre ne peut exister que sous forme imprimée ? Par quel paradoxe la bibliothèque, en apparence la plus archaïque des institutions, est-elle, du fait de sa position au cœur du monde du savoir, l'intermédiaire idéal entre les modes de communication imprimés et numériques ? Chemin faisant, le lecteur découvre comment le livre met en forme la matière du monde, combien les processus de transmission modifient les textes mêmes, pourquoi le papier n'est pas entièrement remplaçable par le fichier numérique. que Shakespeare prouve la nécessité de conserver plus d'un exemplaire d'un livre, et ce que serait une République numérique des Lettres. »

dimanche 15 mai 2011

Petit pan de mur jaune

petit pan de mur jaune: "– Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"

Aux fidèles proustiens, une étude du tableau de Vermeer, Vue de Delft, dont il est question dans la RTP.

mercredi 11 mai 2011

Le hasard...

... faisant bien les choses, je viens de recevoir un coup de fil de la bibliothèque m'avisant que le récent livre de Lucien JERPHAGNON est arrivé. Tout à fait indiqué dans les circonstances, jugez-en vous même :

lundi 9 mai 2011

La fin du monde

Il y a des fins du monde dont on sourit, d'autres s'installent en nous, quoique l'on sache que la mémoire, et le temps qui passe, finiront par en estomper la cruauté. « Mademoiselle Albertine est partie ! » est une de ces fins du mondes. « Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! » Ces fins du monde vous rongent les minutes, le cœur se fatigue de douleur, la raison n'y peut rien. « Mais ces mots : " Mademoiselle Albertine est partie" venaient de produire dans mon cœur une souffrance telle que je sentais que je ne pourrais pas y résister plus longtemps. »

Oui, Mademoiselle Albertine est partie, et, moi, je relis PROUST.

samedi 7 mai 2011

Citation

« Tout gentleman se doit d'avoir trois exemplaires d'un livre : un à exposer (qu'il gardera probablement dans sa maison de campagne), un autre pour son usage et un troisième à la disposition de ses amis. »

Voila une pratique qui devrait, si elle était reprise, plaire aux libraires et aux éditeurs.

Maintenant, le jeu des poupées russes : la phrase, dont l'auteur est un certain Richard Heber, est tirée du Geoffrey Madan's Notebooks, un recueil de citations cité et commenté au chapitre La lecture et ses mystères de l'essai de Robert DARNTON, Apologie du livre -- Demain, aujourd'hui, hier :
« Citations et bons mots s'enchaînent sans fin... [et] apportent une vision cohérente du monde, à la fois profondément personnel et empreinte de la saveur du temps. Le recueil de Madan mêle préciosité édouardienne et désenchantement de l'après-guerre... »
Je ne puis m'empêcher de partager celle-ci avec vous, délicieusement snob :
« Les pantalons doivent frissonner sur la chaussure, mais pas se casser. (Le tailleur d'Arnold Bennett.) »
Et tant qu'à citer : un clin d’œil Phillipe MEYER à la fin de sa chronique radiophonique quotidienne citant lui-même le Tartuffe : « Le ciel vous tienne en joie. »

vendredi 6 mai 2011

Le palais des livres II

Roger GRENIER, Le palais des livres, Gallimard, Paris, janvier 2011 (164 pages).

Présentation de l'éditeur :

« En prenant des chemins quelque peu buissonniers, par exemple voir quelle place les écrivains donnent aux faits-divers, aux délices et aux affres de l’attente, à la tentation de l’inachevé, aux rapports entre vie privée et écriture, à la façon d’écrire l’amour, ces essais adoptent tout naturellement la revendication de Baudelaire sur le droit de se contredire. Et ils aboutissent à deux questions : Qu’est-ce qu’écrire ? Écrire est-il une raison de vivre ? L’une et l’autre, on s’en doute, ne peuvent que rester sans réponse.»
Angelo RINALDI, mon maître à critiquer, si j'ose dire, concluait ainsi son commentaire sur le roman Le veilleur de Roger GRENIER : « En comptable des pas perdus. En virtuose des filtres et des ellipses. En écrivain qui toujours sut en trois phrases donner l'impression de la durée, capter le flot amer du temps, dont son oeuvre, en sa grisaille sans miséricorde, reproduit le mouvement de ressac, chaque livre ayant poussé l'autre, comme les vagues. »

C'était il y a dix ans, mais je crois que ce passage s'applique tout aussi bien au recueil de courts essais réunis dans Le palais des livres que nous offre maintenant Roger GRENIER.

Un des charmes de ce livre est qu'il nous donne l'impression à la fois de pénétrer dans une bibliothèque ou une libraire (mais pas un de ces souks où les livres sont offerts comme friperie dans un décrochez-moi-ça). Tout y est, cette odeur caractéristique des livres, cette ambiance recueillie, cette idée que le passé n'est pas tout à fait mort, qui nourrit le présent, ce sentiment d'être chez soi.

Pourquoi écrire, en effet : « L'écriture est-elle une raison de vivre ? [...] Comment [le besoin d'écrire] nous vient-il et comment s'enracine-t-il ? Et nous voici conversant avec SARTRE, CAMUS, LARBAUD, JAMES, SCOTT FITZGERALD, TCHEKHOV et tant d'autres. On en vient à se demander si « connaître la vie privée d'un auteur est important pour comprendre son oeuvre. » L'écrivain n'aspire-t-il pas à « être à la fois invisible et présent, tout dire sur soi-même sans en avoir l'air » ? L'époque, on le sait, depuis le succès de ce genre appelé « autofiction » apprécie l'exhibition de soi. Ce que l'auteur tient pour « la lie de ce qu'on trouve sur les étals des librairies ». Pourtant, qu'y a-t-il de plus intime que l'amour, par ailleurs éternel sujet d'inspiration littéraire ? La mémoire, l'enfance, comment « cela » se fait-il ? On écrit pour être aimé. Mais il faut publier, ce qui n'est pas la même chose. Un jour viendra où l'on signera la dernière œuvre, mais, l'écrivant, le sait-on ? A-t-on encore quelque chose à dire ? quelles sont les vertus de l'inachèvement ?

Voilà autant de corridors où il fait bon, dans ce palais, se perdre tout en cheminant de conserve avec GRENIER et les auteurs qu'il évoque; pour moi, j'ai entrepris le livre par le milieu, avec l'article « Une demi-heure chez le dentiste » sur la nouvelle. Je vous conseille d'en faire autant. Sachez cependant que la contagion vous guette : d'un auteur à l'autre, d'un livre à l'autre, à lire et à relire, quel attrait trouverez-vous encore au monde ?

mercredi 4 mai 2011

Dans le palais des livres


Roger GRENIER, Le palais des livres, Gallimard, Paris, janvier 2011 (164 pages).

Il nous arrive tous de connaître une fin du monde. La fin d'un monde, car il faut mesure garder. Ayant du temps devant moi avant d'aller rejoindre un ami pour dîner, je dirigeai mes pas vers ma librairie, Le Port de Tête, où m'attendaient quelques livres, dont celui, au beau titre, de Roger GRENIER. Quelle joie d'échapper à la rumeur de la rue pour écouter le silence des auteurs qui cherchent à nous séduire. Des clients discuter avec les deux libraires, des « Connaissez-vous un tel ? », des « oui, mais ne la trouvez-vous pas un peu... ? » et des « Je suis incapable de lire ces choses à la typographie bâclée, que font les éditeurs... ? ». Moi, j'ouvrais les couvertures, me mêlant sans mot dire à ces conversations, opinant du chef, me permettant in petto une réplique bien sentie. J'étais bien, dans le soleil las du début de la soirée, laissant frissonner un avril finissant. Dans mon palais des livres.

La fin du monde s'est produite comme sur un coup de trompette d'apocalypse. Une voix du fond de la boutique « c'est deux à un ». Et mes deux libraires de s'attrouper à l'ordinateur : le match de hockey, celui, décisif, des éliminatoires. Plus grande n'aurait pu être ma stupeur au rideau du temple déchiré. Mes deux libraires, dont l'un très Français, zélotes du sport national. Tonnerre, foudroie-moi, qui ne connais rien à l'affaire sportive, que je tiens pour l'une des grandes impostures marchandes du siècle-- aliénation aurait-on écrit naguère --, me voici victime du préjugé voulant que l'intellectuel ne saurait frémir, même à distance, des plaisirs du cirque nordique : Want to buy some illusions ? me susurrait Dietrich à l'oreille. Ils me virent interdit, et à leurs affaires revenus, c'est à dire à Roger GRENIER, dont j'étais sur le point d'acquérir le petit recueil d'articles, commandé plusieurs semaines plus tôt, et qui venait, lentement, de franchir l'Atlantique. Et nous trois, et les quelques autre clients, de rire de mon effarement. Mes libraires partisans du Canadien, oui, la fin du monde était survenue, pour moi, le mercredi 27 avril; pour eux, un peu plus tard, le même soir, du fait de l'élimination de l'équipe. Apprenant la nouvelle, je ne pus m'empêcher de m'inquiéter, au téléphone, des effets de cette défaite : le magasin serait-il fermé en signe de deuil ?