samedi 9 juillet 2011

C'est la culture qu'on assassine


Pierre JOURDE, C'est la culture qu'on assassine, préface de Jérôme GARCIN 

Balland, Paris, janvier 2011 (284 pages)

Voici un titre qui s'ajoute assez bien à ma séquence « livre sur les livres », quoique le recueil des articles que Pierre JOURDE a publié dans son blog du Nouvel Observateur déborde la seule littérature pour s'intéresser aux médias, à l'éducation (ou à la décadence d'icelle en notre monde marchand) et à la politique culturelle de la France.

JOURDE a toujours été en marge des milieux officiels et serait tenus, dans ceux-ci, comme un vilain réactionnaire élitiste. Son essai, qu'il qualifie de satire, La littérature sans estomac, avait, comme il se doit, déclenché une belle polémique en 2003.

Ce recueil est d'une lecture généralement agréable, le blog est un peu à l'essai ce que la nouvelle est au roman, si je puis oser cette comparaison, et JOURDE nous offre un concentré de ses opinions ès affaires culturelles, bien que, c'est le travers de la formule, le style soit un peu rugueux et que l'argumentation ne donne pas dans la nuance.

Les articles regroupés sous les titres Livres et écrivains et Éthique et littérature m'ont le plus intéressés, on remarquera la verve et la fougue de l'auteur dans la critique littéraire et ses vues sur l'utilité de la littérature et la morale de l'art. Au passage, j'ai eu le plaisir de constater que JOURDE et moi avons le même avis sur Pierre SENGES : « un authentique inventeur ».

C'est toujours le même débat, par ailleurs, entre bonne et mauvaise littérature, le succès étant, selon les critères marchands, gage de qualité, les « vrais » auteurs alléguant, quant à eux, que la postérité leur donnera raison et que nul ne se souvient plus, surtout pas les manuels scolaires, des gloires éphémères de naguère.

Sur toute cette question, une des plus populaires resucées culturelles, personne n'a été plus clair qu'André MALRAUX dans L’Homme précaire et la Littérature, paru à titre posthume en 1977 chez Gallimard, et repris dans ses Oeuvres complètes VI en Pléiade.

En un mot, MALRAUX oppose le produit et la création. Le premier est de son temps historique, la seconde appartient à son époque, certes, mais aussi « au temps de quiconque l'admire, en tant qu’œuvre. » Il donne une analogie très significative : « ... une statue du Portail Royal de Chartres appartient simultanément au XIIe siècle qui l'a conçue, à l'éternité pour le chrétien qui la prie, au présent pour l'artiste qui l'admire. » De même les Illusions perdues et Le Rouge et le Noir n'appartiennent pas qu'à la Restauration. En revanche, il y a fort à parier que les produits de telle écrivaine coqueluche des médias et qui rafraîchit les étals année après année n'appartiendront à aucun autre temps que le sien, et surtout pas à celui de la littérature. On verra dans ceux-ci le témoignage du gagne-pain d'une petite bourgeoise de la seconde moitié du XXe siècle ou de la façon dont elle donne à voir les us et coutumes de son époque, jamais une œuvre d'art : « ... on comprendra que la bibliothèque et les romans dits populaires (d'aventures, policiers, historiques, sentimentaux) ne sont pas séparés par une différence de talent, de degré mais de fonction. Le trésor de la Série Noire et les Classiques de poche n'ont en commun que l'imprimerie. »

En clair, ça n'est pas la même chose. Inutile, donc, de comparer produit et création, quand leurs auteurs peuvent avoir l'un et l'autre du talent, du style, un « sujet ». Mais la métamorphose -- notion capitale chez MALRAUX, j'y reviendrai -- ne vise que la seconde, l'extirpant du temps historique : « celle de Cézanne, sur ce qui, dans une pomme de Cézanne, ne ressemble pas à une pomme. Celle de Flaubert, sur ce qui, dans Madame Bovary, ne ressemble pas à Ry, modèle d'Yonville pour les touristes. »

Mais, à défaut de lire ou de relire le bel essai de MALRAUX, on pourra fort bien réfléchir à la question de la littérature en compagnie de Pierre JOURDE, quoique je me demande si celui-ci ne confond pas, parfois, produit et création dans son combat contre la médiocrité et la vulgarité qui, selon lui, assassinent la culture.

Présentation de l'éditeur :

« Le barbu sur l'image de la couverture. c'est la culture qu'on assassine. Mais on peut y voir aussi l'inverse : celles et ceux dont on a entrepris d'asservir l'esprit, et qui se révoltent contre l'empire de la crétinisation. Les pouvoirs économique. politique. médiatique se conjuguent pour nous plonger dans une nouvelle barbarie : abandon de l'école publique, transformation des universités en monstres bureaucratiques. télévision avilissante, ruine des instituts culturels français. mépris affiché pour la littérature, journalistes usinant du cliché. promotion de faiseurs au rang de grands écrivains. mort de la culture populaire, disparition de l'esprit critique. Face à cette agression. tous les coups sont permis. notamment ceux de l'ironie. Contre les fausses valeurs et la déréalisation propagées par les médias, la littérature est une résistance. »

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