dimanche 14 août 2011

La révolte des masses

José ORTEGA y GASSET, La révolte des masses, traduit de l'espagnol par Louis PARROT et Delphine VALENTIN, Les belles lettres, Paris, octobre 2010; titre original : La rebelion de las masas (1930) (314 pages).
Signalons d'entrée la belle préface, La vie comme exigence de liberté, de José Luis GOYENA qui explique la genèse de la prophétie orteguienne, la replace dans son contexte historique et permet de mieux comprendre en quoi elle fut -- et demeure -- autant controversée qu'incomprise.

De toutes les métaphores, la sportive est celle avec laquelle je me sens le moins familier n'étant pas de ceux qui s'agitent, en public ou en privé, devant les exploits physiques d'athlètes devenus des héros. Il n'en reste pas moins que c'est l'image d'un combat de boxe que j'avais présente à l'esprit pendant la lecture de l'essai d'ORTEGA y GASSET. Un combat de quinze rounds -- un pour chacun des chapitres -- entre le livre et moi, qui se sera terminé sur un verdict nul.

Ce commentaire découle davantage de la forme que du fonds -- non que certaines des thèses d'ORTEGA ne soient critiquables. Certes, on appréciera la clarté de l'énonciation des thèses de l'auteur, lesquelles sont par ailleurs bien résumées de chapitre en chapitre, mais le ton qui fait dans la conférence -- et même un peu professoral -- pourra agacer. Comme pourra surprendre un certain vocabulaire, notre époque étant habituée à l'euphémisme : ici on appelle un chat, un chat :
« ... une des caractéristiques de notre temps est la prédominance de la masse et du médiocre [...]. Dans la vie intellectuelle qui requiert et suppose, par son essence, le discernement de la qualité, on remarque le le triomphe progressif des pseudo-intellectuels non qualifiés, non qualifiables, et que la contexture même de leur esprit disqualifie. »
Entrons maintenant dans le livre :

Le XIXe siècle a, selon l'auteur, vu la naissance d'un type d'homme nouveau qu'il appelle l'homme-masse : moins une classe sociale, au sens où on l'entend en politique, qu'une « manière d'être qui se manifeste aujourd'hui dans toutes les classes sociales, et qui est par là même représentative de notre temps, sur lequel elle domine et règne ». Cet individu moyen est symbolisé par le senorito satisfait -- un enfant gâté en quelque sorte--, qui s'appuie sur ses droits et ne se reconnaît aucune obligation, fier de sa médiocrité, égal à chacun et inférieur à nul autre. Et faute de « commandement » -- on écrirait sans doute leadership ou gouvernance de nos jours -- cet individu sans qualité « s'abandonne à un scandaleux provisoire », la société d'hyper consommation, tombe dans le jeunisme, les jeunes ayant tous les droits, et, sur le plan politique, s'abandonne à un nationalisme étroit et dangereux, car il dresse les nations les unes contre les autres, certes, mais aussi chacun contre chacun.

Droite et gauche (dans leurs formes extrêmes) sont renvoyées dos à dos :
« Si l'homme actuel se présente comme réactionnaire ou antilibéral, ce sera pour pouvoir affirmer que le salut de la patrie, de l'État, l'autorise à violer toutes les autres lois, et à écraser son prochain, surtout si celui-ci possède une personnalité vigoureuse. Mais il en est de même s'il se présente comme révolutionnaire : son enthousiasme apparent pour l'ouvrier manuel, le misérable et la justice sociale lui sert de déguisement pour feindre d'ignorer tout obligation -- comme la courtoisie, la sincérité et surtout, surtout, le respect et l'estime dus aux individus supérieurs. »
J'imagine que certains sourcils, à ces lignes, se froncent.

Ne nous y trompons pas, ORTEGA était, selon les critères actuels, de gauche et appelait la démocratie de tous ses vœux (rappelons que l'Espagne vivait, en 1930, était encore une monarchie, et sortait tout juste de la dictature du général Primo de Rivera), mais sans doute pas une démocratie égalitaire, ce qui explique aussi sa grande méfiance envers le libéralisme économique. Un peu comme TOCQUEVILLE, il se méfiait des possibles dérives d'une démocratie où l'égalité des citoyens se confond avec celle des droits. Il appelait aussi une Europe fédérée sinon unifiée, laquelle revendiquerait le « commandement » -- le leadership moral -- du monde libre. C'est sur ce point que l'on peut qualifier, certains le font, ses idées de prophétiques.

Ne voulant pas, cher lecteur, vous assommer, je reviendrai dans le prochain article sur deux autres idées développées par ORTEGA dans son ouvrage, l'identité nationale et les dictatures.


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