vendredi 27 janvier 2012

Comment parler des lieux où l'on n'a pas été

Pierre BAYARD, Comment parler des lieux où l'on n'a pas été, Paradoxe - Éditions de Minuit, Paris, janvier 2012 (158 pages) -- support papier et électronique.

Vous ne pouvez pas, lecteur, imaginer ma joie quand, ouvrant hier le Monde de vendredi (bizarre, mais c'est ainsi, le Monde daté d'un jour parait la veille) à la page du Cahier des livres le commentaire d'Enrique Vila-Matas sur le nouvel essai de Pierre Bayard. Moi qui, reprenant le titre d'une chanson de Gilles Vigneault, me disais « voyageur sédentaire », je vais pouvoir désormais me qualifier, sans honte aucune, de « voyageur casanier ». J'eusse aimé y penser.

Et de me précipiter, le livre n'arrivera chez nos libraires, contrairement à Malbrough ni z'à Pâques, ni à la Trinité -- imaginez à la bibliothèque --, à la page de ma librairie virtuelle pour y télécharger l'extrait gratuit que je me fais une joie de partager, pour partie, avec vous. Vous noterez au passage que mon dernier billet constitue ex ante facto, si j'ose dire, un exemple indiqué puisque, fort de ma lecture du livre de Jean-Marie Laclavetine, je puis désormais vous entretenir mieux que quiconque de la Touraine, de ses ciels, et de ses vins (on en trouve même, vérification faite, quelques uns à la SAQ).

La belle ouvrage que voilà, et qui me fournit enfin le justificatif littéraire que je cherchais depuis longtemps à mes réserves à toute forme de transhumances touristiques.

Merci, ô fier Bayard.
« Les inconvénients des voyages ont été suffisamment étudiés pour que je ne m’attarde pas sur ce sujet. Démuni face aux animaux sauvages, aux intempéries et aux maladies, le corps humain n’est à l’évidence nullement fait pour quitter son habitat traditionnel et moins encore pour se déplacer dans des
terres éloignées de celles où Dieu l’a fait vivre.

» Mais les dangers des voyages ne s’arrêtent pas là. À trop se fixer sur leurs inconvénients physiques, on perd de vue les perturbations psychologiques qu’ils peuvent susciter. Après les travaux de Freud et d’autres psychiatres qui ont étudié les différents syndromes du voyageur, nous savons aujourd’hui que partir loin de chez soi est non seulement susceptible de provoquer des troubles psychiques, mais peut même conduire
à devenir fou. [...]

 » Il importe ici d’apporter immédiatement une précision majeure et de lever toute ambiguïté. Si ce livre s’inscrit dans la succession de tous ceux qui dénoncent les méfaits des voyages, il ne le fait nullement au nom du sentiment, partagé par de nombreux auteurs, que, tous les lieux s’équivalant, il est inutile de prendre la peine de partir à leur découverte.

» Cette thèse a été rendue populaire par un célèbre poème de Baudelaire, « Le voyage » – où figure le vers fameux « Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! » –, dans lequel le poète développe la thèse selon laquelle la rencontre des pays étrangers ne produit que l’ennui et laisse le voyageur, au terme de son périple, confronté au vide angoissant de sa propre personne.

» Ma conviction est tout à fait différente. Contrairement à Baudelaire, dont les propos sont empreints d’une forme d’européocentrisme et ne témoignent pas en tout cas d’une grande curiosité intellectuelle, tous les pays et toutes les cultures que j’ai eu l’occasion de rencontrer m’ont personnellement beaucoup enrichi et je n’ai jamais regretté d’avoir fait l’effort de m’y intéresser.

» La question n’est donc nullement de savoir ce qu’apporte la connaissance de lieux étrangers, dont la fréquentation ne peut qu’être bénéfique à toute personne ayant l’esprit ouvert. Elle est de savoir si cette fréquentation doit se faire directement ou s’il n’est pas plus sage de la pratiquer sous d’autres formes que celle du déplacement physique. » [...]

» De ces considérations générales se dégage un plan logique. Je commencerai dans une première partie par rappeler les différents types de non-voyage auxquels ont eu recours toute une série d’écrivains et de penseurs peu soucieux, pour rencontrer les cultures étrangères qu’ils désiraient connaître et décrire, de s’éloigner de leurs bases.

» Dans une seconde partie, je me propose d’évoquer un certain nombre de situations concrètes dans lesquelles nous pouvons nous trouver contraints de parler de lieux où nous ne sommes jamais allés. Ces situations sont en fait beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pense, d’où l’intérêt de les examiner
avec soin et de les étudier dans leur singularité, attentifs à leur complexité individuelle et à la diversité des solutions qu’elles appellent.

» J’en viendrai dans une troisième partie, en me fondant sur mon expérience personnelle, mais surtout sur celle de nombreux autres voyageurs casaniers, à donner quelques conseils
pratiques à ceux qui, désireux de rencontrer des cultures étrangères, ont compris que ce n’est pas en courant le monde à leurs risques et périls qu’ils ont le plus de chance de s’enrichir intellectuellement. »

Présentation :
« L’étude des différentes manières de ne pas voyager, des situations délicates où l’on se retrouve quand il faut parler de lieux où l’on n’a pas été et des moyens à mettre en oeuvre pour se sortir d’affaire montre que, contrairement aux idées reçues, il est tout à fait possible d’avoir un échange passionnant à propos d’un endroit où l’on n’a jamais mis les pieds, y compris, et peut-être surtout, avec quelqu’un qui est également resté chez lui. »

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