lundi 27 février 2012

Lire, lire, mais écrire ?

Me voici, cher lecteur, obligé de vous prendre à témoin : je suis dépassé, moins par les événements, ce qui doit arriver arrivera bien, que par mon carnet de lecture, lequel compte trois essais assez denses (compte non tenu du Dictionnaire Malraux), mais captivants, que je tente de lire dans les délais impartis par la bibliothèque. Je lis, je lis, prends des notes, reproduit des extraits, mais peine à passer à l'écrit. Pas par angoisse devant l'écran vide (je ne suis plus à la page depuis plusieurs années...), mais par un certain découragement devant la tâche. Angoisses de riche, m'objecterez-vous; certes, mais mettez vous à ma place (de fait, nous pourrions volontiers faire équipe...).

Jugez-en par vous même, philosophie morale, philosophie économique et analyse littéraire :

Dany-Robert DUFOUR, L'individu qui vient ... après le libéralisme. Denoël, Paris, octobre 2011 ( 388 pages).
« Après avoir surmonté en un siècle différents séismes dévastateurs - le nazisme et le stalinisme au premier rang -, la civilisation occidentale est aujourd'hui emportée par le néolibéralisme. Entraînant avec elle le reste du monde. Il en résulte une crise générale d'une nature inédite : politique, économique, écologique, morale. subjective, esthétique, intellectuelle...

» Une nouvelle impasse ? Il n'y a là nulle fatalité. En philosophe, mais dans un langage accessible à tous, Dany-Robert Dufour s'interroge sur les moyens de résister au dernier totalitarisme en date. Une fois déjà, lors de la Renaissance, la civilisation occidentale a su se dépasser en mobilisant ses deux grands récits fondateurs : le monothéisme venu de Jérusalem et le Logos et la raison philosophique venus d'Athènes. Pour sortir de la crise, il convient aujourd'hui de reprendre cet élan humaniste. Ce qui implique de dépoussiérer, réactualiser et laïciser ces grands récits.

» L'auteur propose donc de faire advenir un individu qui, rejetant les comportements grégaires sans pour autant adopter une attitude égoïste, deviendrait enfin "sympathique" c'est-à-dire libre et ouvert à l'autre. Une utopie de plus ? Plutôt une façon souhaitable mais aussi réalisable, face à la crise actuelle, de se diriger vers une nouvelle Renaissance, qui tiendrait les promesses oubliées de la première.»
 Le plus captivant, et par le fond et par la forme, mais fort difficile à synthétiser.

Ruwen OGIEN, L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine (et autres questions de philosophie morale expérimentale), Grasset,  Paris, septembre 2011 (336 pages).

« Vous trouverez dans ce livre des histoires de criminels invisibles, de canots de sauvetage  qui risquent de couler si on ne sacrifie pas un passager, des machines à donner du plaisir que personne n'a envie d'utiliser, de tramways fous qu'il faut arrêter par n'importe quel moyen, y compris en jetant un gros homme sur la voie.
» Vous y lirez des récits d'expériences montrant qu'il faut peu de choses pour se comporter comme un monstre, et d'autres expériences prouvant qu'il faut encore moins de choses pour se comporter quasiment comme un saint : une pièce de monnaie qu'on trouve dans la rue par hasard, une bonne odeur de croissants chauds qu'on respire en passant.

» Vous y serez confrontés à des casse-tête moraux. Est-il cohérent de dire : "ma vie est digne d'être vécue, mais j'aurais préféré de ne pas naître" ? Est-il acceptable de laisser mourir une personne pour transplanter ses organes sur cinq malades qui en ont un besoin vital ? Vaut-il mieux vivre la vie brève et médiocre d'un poulet d'élevage industriel ou ne pas vivre du tout ?

» Cependant, le but de ce livre n'est pas de montrer qu'il est difficile de savoir ce qui est bien ou mal, juste ou injuste. Il est de proposer une sorte de boîte à outils intellectuels pour affronter le débat moral sans se laisser intimider par les grands mots ("Dignité", "vertu", "Devoir", etc.), et les grandes déclarations de principe ("Il ne faut jamais traiter une personne comme un simple moyen", etc.).

» C'est une invitation à faire de la philosophie morale autrement, à penser l'éthique librement. »
 Le dernier arrivé sur ma pile, philosophe « libéral » fera sans doute contrepoint au premier, nettement anti-libéral. Les jurés, qui ont tenu leurs ultimes délibérations en public dans le cadre de l'émission le Grain à moudre, lui ont attribué le premier Prix Procope des Lumières. Avec tant d'enthousiasme que, of course, ma curiosité a été piquée.

Olivier REY, Le testament de Melville : Penser le bien et le mal avec Billy Budd, Bibliothèque des Idées - Gallimard, Paris, septembre 2011 (244 pages).
« Lorsque Herman Melville meurt à New York, en 1891, il est un vieil homme à peu près oublié. Moby-Dick, quarante ans plus tôt, a coulé sa carrière littéraire. C'est seulement dans les années 1920, dans une Angleterre qui a fait l'expérience de la Grande Guerre, que le public commence à s'aviser de son génie. La fièvre de la redécouverte nourrit la quête d'inédits et, d'une boîte en fer-blanc, surgit le récit auquel Melville a travaillé durant les cinq dernières années de sa vie : Billy Budd.

» Malgré une taille limitée, celle d'une longue nouvelle, et une intrigue très simple, Billy Budd est rapidement devenu l'un des textes les plus étudiés et les plus commentés de la littérature mondiale, suscitant des débats aussi passionnés que contradictoires. La violence de la lutte entre critiques ne doit pas surprendre : Melville a tout fait pour livrer à une modernité demi-habile, pensant que tout problème a sa solution, une de ces situations sur lesquelles elle ne peut que se casser les dents. Qu'est-ce que le mal ? Par quelles voies se répand-il ? Comment limiter son empire ? Quel sens donner à la beauté d'un être ? Comment accueillir la grâce échue à un autre? Autant de questions que la pensée instrumentale nous a désappris à poser et qui, lorsqu'elle les rencontre, la rendent comme folle. Autant de questions qui n'en demeurent pas moins essentielles et dont la littérature est peut-être la mieux à même, par ses ambiguïtés, de traiter sans fausseté.

» C'est dans cet esprit que le présent ouvrage se met à l'école de Billy Budd. Il saisit l'occasion qui nous est donnée, en explorant l’œuvre ultime de Melville, de renouer avec des interrogations dont nous ne pouvons nous passer.»
 Aussi étrange que cela puisse paraître, cet essai est lié au premier (et sans doute au deuxième) : une réflexion sur le bien et le mal à partir d'un texte romanesque.

Comme vous le voyez, cher lecteur, nous avons du pain sur la planche...

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