dimanche 5 février 2012

Saint-Simon : nouvel épisode

Mona OZOUF, La tournée du petit duc in La cause des livres, Gallimard, Paris, octobre 2011 (560 pages); support papier et électronique.

Je n'y croyais pas.

Qu'un article sur un duc et pair de France, fût-il l'auteur, avec ses Mémoires, d'un des monuments de la littérature française put soulever tant de commentaires ! En vérité, je n'y croyais pas.

Eh bien ! tout comme une série télévisée se mérite, par l'audience qu'elle rencontre, une prolongation, communément qualifiée de nouvelle saison, celui-ci, de petit duc, aura un nouvel épisode.

Mona Ozouf , dont j'avais, en 2005, vivement apprécié le Varennes : La mort de la royauté -- 21 juin 1791, m'en a fourni l'occasion avec cet article où elle commente la publication, en 1988, du huitième et dernier tome des Mémoires (1721-1723) du duc de Saint-Simon dans l'édition établie par Yves Coireault pour la Bibliothèque de la Pléiade. Soit environ huit mille pages. Cet article est tiré du recueil que l'historienne vient de publier chez Gallimard, où elle regroupe une vaste sélection d'articles parus au Nouvel Observateur. Côté histoire, l'éditeur de la rue Sébastien-Bottin nous gâte avec ce recueil, et avec celui de l'autre grand historien qu'est Pierre Nora, l'inventeur des Lieux de mémoire, l'un et l'autre étant de semblables bonheur de lecture, du moins à ce que j'ai pu en constater par les extraits -- généreux , une centaine de pages en tout -- qu'il est possible de télécharger gratuitement à partir du site de votre librairie électronique favorite. Extraits que j'ai lus à bord du train en direction pour Québec jeudi matin, à une heure où je suis d'habitude à l'horizontale un chat au pied de mon lit.

En voici un extrait qui décrit bien le projet de Saint-Simon, et précise, avec une telle élégance, ce que je tentais de dire dans mon article :
« Haïssant avec volupté, médisant avec rage, injuste et toujours en tempête, Saint-Simon ne lâche jamais sa chimère : la défense et l'illustration de la dignité des ducs et pairs. Dignité récente dans la famille : la compétence d père de Saint-Simon en matière de chevaux lui avait valu cette faveur de Louis XIII. Mais précisément : Saint-Simon connaît le tourment des nouveaux promus. Il faut faire front à la superbe du degré supérieur (les princes du sang); il faut surtout contenir l'avidité du degré inférieur: le rêve serait de fermer derrière soi, maintenant qu'on l'a franchie, la barrière de la pairie. »
C'est qu'elle ne se fermera pas, cette barrière, Louis XIV continuant à faire de nombreuses et dégradantes promotions...

Son l'ultime mission politique aura été la négociation (je résume...) du mariage de la fille du Régent (Phillippe d'Orléans) avec le prince des Asturies (équivalent, pour l'Espagne, du Dauphin en France) et celui du jeune Louis XV avec l'Infante. C'est qu'il fallait « un seigneur de marque et titré, spécialiste des épineuses questions d'étiquette. Notre négociateur n'a pas été peu fier d'obtenir, pour lui-même et son fils, de la part du roi d'Espagne Philippe V, le petit-fils de Louis XIV -- quelle famille --, la dignité de Grand d'Espagne -- la grandesse -- :  quand on saura que « les grands d'Espagne, malgré leur notoire infériorité historique sur les pairs français, peuvent se couvrir devant le roi, privilège contesté en France aux ducs et pairs », on comprendra qu'il est possible d'accepter de se ruiner pour un chapeau !


Dernière source de fureur de Saint-Simon : le sacre de Louis XIV en 1723 d'où le peuple est exclu. Scandaleuse rupture de l'accord symbolique entre le roi et ses sujets. Faute « tant contre l'esprit que contre l'usage » dont Mona Ozouf tire la conclusion suivante :
« ... après ce roi-ci, les Français n'ont plus que deux rois à sacrer. En exécutant le premier, en chassant le second, ils vont montrer qu'on peut bien évincer le peuple du consentement originel, mais qu'il se réserve désormais le dernier mot dans la scène finale. »

À écouter : Répliques d'Alain Finkielkraut avec Mona Ozouf.

Présentation :
« J’ai réuni dans ce livre des articles que, pendant quarante ans, j’ai donnés au Nouvel Observateur. C’est une actualité littéraire fantasque qui les a souvent inspirés et les figures imposées du journal qui en ont dicté la forme : une brocante où le hasard semble avoir plus à dire que la nécessité. Et pourtant, cette promenade buissonnière à travers les livres dessine peu à peu un itinéraire familier. On trouvera ici les aveux du roman, les mots des femmes, l’ombre portée de la Révolution sur les passions françaises et un tableau de la France et des Français où l’on voit une diversité obstinée tenir tête à la souveraine unité de la nation. Ces rencontres d’occasion avec les œuvres et les figures du passé me renvoient donc à mes goûts et à mes attaches. Je n’ai pas de peine à retrouver en elles des voix amicales et des présences consolantes. J’y vois aussi surgir l’événement intempestif, la rencontre inattendue, la surprise des sentiments. La littérature et l’histoire, sur la chaine usée des destinées humaines, n’ont jamais fini de broder les motifs de la complexité humaine. Telle est la cause des livres ». (Mona Ozouf)

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