jeudi 28 mars 2013

Ecuador - Journal de voyage


Henri MICHAUX, Ecuador - Journal de voyage, L'Imaginaire n° 242- Gallimard, Paris 1929/1968/1990 (196  pages).

Est-il moins périlleux de voyager de nos jours qu'en 1928 ? Le voyageur sédentaire que je persiste à demeurer -- nul péril pour moi en la demeure -- hésite peu à en douter au narré des histoires horrificques des touristes, ces bonnes gens qui seraient mieux chez eux et que l'industrie du voyage transporte dans des endroits qui seraient mieux sans eux, rapportent avoir vécu lors de leur transhumance vacancière.

Pour moi, c'est dans mon fauteuil, sous l’œil du chat Ludo, lung ching à portée de main, qu'avec Henri Michaux,  poète découvert grâce au livre de Michel Cournot, j'ai temps et espace franchi pour quelques heures. Le moment, 1928, destination : l'Équateur. Toute une année. À commencer par une traversée de l'Atlantique et du canal de Panama : « Entre gens du bord, un lien : les jeux de carte. Bridge, manille, poker : la seule monnaie de notre civilisation qui ait cours partout. » Puis depuis Quito, l'aventure ... et l'écriture :
« Dans deux ou trois ans, je pourrai faire un roman. Je commence grâce à ce journal à savoir ce qu'il y a dans une journée, dans une semaine, dans plusieurs mois.
C'est horrible, du reste, comme il n'y a rien. On a beau le savoir.
De le voir sur papier, c'est comme un arrêt. »
Ne vous y trompez pas, Michaux ne raconte rien, ou si peu, dans son journal de voyage ; quelques faits, certes, mais surtout une évocation poétique (le texte comporte d'ailleurs quelques beaux poèmes en vers libres) de son très difficile périple.

Et on appréciera son rendu des différences culturelles qu'il constate. Ainsi, avec un certain agacement :
« Une résolution une fois exprimée en parole devant témoins, beaucoup de Français se sentent obligés d'agir suivant le dit.
L'Équatorien n'est point ainsi. Il a dit demain, eh bien ce sera après-demain ; vous l'attendez le surlendemain, ah, non, fini, plutôt autre chose, ou plus rien du tout, il a changé d'idée.
Il ne met pas la parole à part dans le solennel.
Non ! Il change d'idée, il change de parole, c'est tout un.
Ceci est la cause de nos nombreux retards, et de mon malaise depuis des mois. »

Au passage, un commentaire a frappé mon attention :
« On se demande souvent pourquoi les jeunes gens de cette génération sont désespérés. C'est qu'ils sont sacrifiés. Ils entrevoient la belle époque. Ils n'y vivront pas. Lequel d'entre eux n'accepterait n'arrêter sa vie actuelle pour vivre en l'an 2500 ?
Cet état d'esprit est nouveau dans le monde ; autrefois on n'attendait pas de l'avenir tout ce que nous en attendons. »
Ne lit-on pas là l'équivalent de la complainte de ce qu'on appelle aujourd'hui la génération X ? À la réserve près que celle-ci, et la nôtre aussi d'ailleurs, savent qu'il n'y a guère à attendre de l'avenir, et que le progrès n'est qu'une idéologie vieillissante, sinon morte.

Présentation
« J'arrivai pour la première fois dans ce pays, comme il faisait à peu près nuit déjà. Il restait deux heures à faire à cheval. Trois cavaliers allaient m'accompagner. Je m'attendais à trotter. On se mit, au contraire, à descendre dans d'invraisemblables pierres, où bientôt, dans l'ombre épaisse, j'étais comme un aveugle. Le cheval connaissait le chemin. A mesure que l'obscurité se faisait plus pleine, son pas devenait plus prudent et sensé. Je le laissais faire. Il tournait ici, puis là, puis atterrissait à un palier plus bas. Il était le plus lent, je perdais de vue les autres, même la jument blanche de Mortensen. On était obligé de m'attendre. »

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