dimanche 24 mars 2013

Journal de deuil

Roland BARTHES, Journal de deuil, Points-Seuil n° 678, Paris, janvier 2012 -- édition originale 2009, (268 pages).


Lecture que j'aurais aimé faire il y a quelques mois, en août dernier. Et aimé partager avec ceux de mes proches le plus tenaillés par la douleur du chagrin. J'ai déjà donné quelques citations, sur ces pages et sur Apostilles, j'en donne plusieurs autres ici tant j'ai trouvé que ce recueil de notes --  lequel, semble-t-il, n'était pas destiné à la publication, d'où, à l'époque, l'inévitable polémique éditoriale parisienne --, brèves annotations jetées sur des fiches, était juste dans sa façon de contourner, de le tender du moins, l'impossibilité de « dire » la mort : « Mon chagrin est inexprimable mais tout de même dicible. Le fait que la langue me fournit le mot « intolérable » accomplit immédiatement une certaine tolérance ». Et aussi : « Je ne veux pas en parler par peur de faire de la littérature -- ou sans être sûr que c'en ne sera pas -- bien qu'en fait la littérature s'origine dans ces vérités. » D'ailleurs, Barthes n'aime pas le mot deuil, lui préférant celui de chagrin. Impossibilité pour lui, donc, de faire un « récit de vie » de la mort de sa mère, seulement, par attouchements, pourra-t-il restituer la présence de l'absence : « Dans la phrase "Elle ne souffre plus", à quoi, à qui renvoie "elle" ? Que veut dire ce présent ? » et des effets de cette mort sur lui : « J'habite mon chagrin et cela me rend heureux. Tout m'est insupportable qui m'empêche d'habiter mon chagrin. », qui ressent en outre une très forte et constante peur d'une catastrophe qui a déjà eu lieu (référence au psychanalyste Winnicott) et incessamment douloureuse.

Beaucoup de références à Proust, évidemment, et on pourra lire, comme le suggère Antoine Compagnon dans son cours Écrire la vie : Montaigne, Stendhal, Proust du Collège de France (qu'on peut écouter en podcast), Albertine Disparue. L'un et l'autre livre, si opposés par la forme, sont absolument complémentaires l'un de l'autre.

Inéluctable conclusion : « La vérité du deuil est toute simple : maintenant que mam. est morte, je suis acculé à la mort (rien ne m'en sépare plus que le temps). »

Pour moi, et conscient de l'étrangeté de ce que j'écris : cette douleur crée de la beauté, ne pouvant s'intégrer au récit de vie de Barthes, elle est désormais liée à la mienne, par l'écho qu'elle suscite en moi avec celle découlant de la mort de ma mère. Beauté douloureuse, mais Beauté : je suis un survivant de Beauté.

Présentation
« Le journal intime écrit par Roland Barthes dans les mois qui ont suivis la mort de sa mère, l’être cher par-dessus tout, en automne 1977. La Chambre claire évoquait déjà largement ce deuil douloureux, qui transforme complètement le regard de Barthes sur la photographie, désormais vu comme le lieu d’une possible résurrection de l’être perdu. Ici, nous sommes tout à la fois dans un constat détaillé et dans une interrogation intime et philosophique du deuil, absolument singulier, impartageable. Cet inédit est une pièce décisive dans la compréhension de Roland Barthes, qui aura vécu toute sa vie auprès de sa mère et ne lui aura survécu que trois ans, les années de l’impossible deuil. Un document émouvant, rédigé au jour le jour en brefs fragments qui, comme toujours chez Barthes, dépassent l’expérience personnelle pour toucher à l’universel. Nous sommes tous porteurs d’un deuil, et celui-ci nous touche, nous éclaire.»

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