dimanche 28 avril 2013

Digressions II

Robert LÉVESQUE, Digressions, Papiers collés - Boréal, Montréal, avril 2013 (184 pages); également sous format ePub ou PDF.

Aux Américains le dernier des Mohicans, nous tenons avec Robert Lévesque l'ultime authentique critique de théâtre -- toute controverse oubliée -- après lui, que de la réclame et du copinage.  Ce n'est toutefois pas sous ce chef qu'il nous touche aujourd'hui -- encore que telle dame institutionnelle aie droit à quelques félins coups de griffe --, mais sous celui de chroniqueur de sa propre vie : littérature et cinéma pour l'essentiel, dans un ouvrage appartenant à  la famille de la trilogie des André Major : des récits de vie (côté Écrire la vie d'Antoine Compagnon) et des livres à livres (côté auteur de ces pages).

L'idée du livre lui étant venue, à vélo, sur les rues cahoteuses du Plateau Mont-Royal, l'auteur nous initie, en toute liberté -- du moins l'affirme-t-il -- à ses catins de pensées, détour par chez Diderot : « Je suis ... enfin... disons que je tenterais d'être, ici, le plumitif de mes coq-à-l'âne nés de mes contacts avec les nids-de-poule. » J'ai, par parenthèse, à l'esprit toujours présent la perpétuellement renouvelée diatribe de G*** contre le maire de l'arrondissement en cause. L'auteur poursuit : « ... je vais persister et signer ce que vous avez entre les mains, cher lecteur, des incongruités, des incurvations, des sauts-de-mouton, des sauts-de-loup, des choses pas rap', des dérapages, des déraillements, mes catins, mon pain, bref du saugrenu, et le tout à l'avenant de l'inattendu... », énoncé de principe tempéré par un aveu, en mineur, peut-être teinté de fausse-modestie : « moi qui ne suis pourtant pas jeune et qui suis un futur grand rien. »

Nous voici prévenus. Et l'on en redemandera, je vous le promets.

Il sera beaucoup question de Louis-Ferdinand Céline, et même de sa centenaire de veuve, Lucette Almanzor, de Gide et d'auteurs qui, par ailleurs, vous qui passez ici, me sont chers : Pontalis, Poirot-Delpech, Major, Cournot, Basile; de cinéastes tels Truffaut, et à travers lui, de Balzac et d'Ursule Mirouët, ainsi que Buñuel (où donc se trouve le tilde sur ce clavier ?) et Yves et Marc Allégret, d'actrices comme Françoise Dorléac, Tilda Thamar (vous saurez que cette femme au nom modianesque compta beaucoup pour le réalisateur des 400 coups), la Signoret de Dédée d'Anvers ou encore Sylvie, la vieille dame indigne de René Allio; de Rimbaud et de sa photo; du plaisir qu'on peut tirer de la fréquentation, quand on s'appelle Dickens ou Zola, de la morgue.

On croisera Marcel Dubé, Geneviève Bujold, Judith Jasmin, Andréanne Lafond, Claude Jutra, et pourtant point de pipolisation ici, des présences -- fantômes ? de notre pauvre culture si difficilement française, et aussi, il le faut bien, quelques philistins -- les mêmes que chez Major -- dont ceux qui ont cassé Radio-Canada.

En vérité, un livre précieux et rare, si bien construit (et dont la ponctuation vous a des raffinement de dentelle), mais si fragile, à la fois sur le fil d'un temps souvent perdu, parfois détruit, et comme le lieu d'une mémoire à nous commune, gens d'autrefois, que nous espérons transmise, par ce témoignage, à ceux du présent et, audace, du futur. Oui, c'est ainsi que les hommes vivent, rarement en ligne droite. Ces digressions-là, Madame, Monsieur, ne s'écartent pas du sujet : elles sont notre identité.

Présentation

« Digression : "développement écrit qui s’écarte du sujet" (Robert) ; "développement étranger au sujet" (Larousse) ; bref : hasard et liberté, bifurcations, détours, intuitions subites, comme il arrive à un promeneur qui n’a pas de destination et qui se laisse porter par l’inspiration du moment, les rencontres inopinées et, surtout, le plaisir de la vraie découverte.
» Dans la prose pétillante qu’on lui connaît, Robert Lévesque nous fait entrer ici dans le laboratoire intime de sa pensée et de son écriture. Une pensée qui, à la ligne droite et sévère, préfère les méandres, les allusions, l’imprévu, en un mot : l’aventure. Dans la vingtaine de textes qui composent ce volume, l’auteur évoque ses amours littéraires ou cinématographiques (Louis-Ferdinand Céline, Samuel Beckett, Giorgio Bassani, Gabrielle Roy, Rimbaud, Buñuel, Truffaut), ses rencontres parfois anciennes (avec Geneviève Bujold, avec le village d’Angoisse au Périgord, avec un portrait de sa mère avant sa naissance), à l’occasion quelques-unes de ses têtes de turc montréalaises. Mais partout, il le fait sans s’appesantir, comme en passant, avec la sincérité et l’extrême partialité de celui qui n’a rien à prêcher et qui ne parle au nom de personne d’autre que soi-même.
» Qu’est-ce que la littérature, au fond, qu’est-ce en particulier que l’essai, tel que nous l’a enseigné Montaigne, le maître ès "sauts et gambades", sinon l’art de se rendre disponible à toutes les surprises, c’est-à-dire le besoin, le délice de la digression ? »

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