vendredi 10 mai 2013

Gatsby le magnifique

Francis Scott FITZGERALD, Gatsby le magnifique, in Romans, nouvelles et récits (2 tomes n° 581 et 582), Bibliothèque de la Pléiade - Gallimard, traduit de l'anglais par Philippe Jaworski, Paris, septembre 2012 (1648 et 1792 pages); il existe plusieurs autre éditions papier, audio ou électroniques.

Grand amateur de nouvelles, je me laissai tenter, il y a quelques mois, par l'édition de la Pléiade et plongeai directement dans un des œuvres les plus connues de Fitzgerald et, du moins à titre posthume, la plus populaire, le court roman Gatsby le magnifique. L'autre raison fut l'imminente sortie de l'adaptation qu'en a fait Baz Lurhmann, dont la bande annonce me fit redouter le pire, dont il est largement capable, surtout en 3D, mais ne digressons pas.

Devenu un classique, étudié et commenté, le roman est victime de la malédiction du tardif intérêt et, comme son auteur, des lieux communs rabâchés : un ouvrage dont on parle, mais qu'on ne lit pas d'un auteur à la réputation sulfureuse, alcool, sexe et tout ce qu'il faut pour titiller les gazettes. La « pléiadisation » confère par ailleurs un statut particulier à l'élu de la collection : nul n'entre pas impunément à demeure au Musée...

Qu'on se détrompe, il s'agit ici d'une œuvre encore bien vivante, et dont, je l'avoue, je ne soupçonnais pas l'effet qu'il produirait chez moi. Notamment par son traitement et son style. Et c'est un roman profondément américain fait d'oppositions : le vrai et le faux, les apparences et la réalité, la côte Est et l'Ouest, le raffinement et la vulgarité, le vieil argent et le parvenu, le passé et l'avenir, sans parler des personnalités des personnages, très souvent doubles.

Le style : Fitzgerald a composé son roman en réaction au réalisme des ouvrages en vogue à l'époque, appelant de riches images visuelles ou sonores (Voir le passage cité dans l'Apostille Vingt-Sept). La structure : l'histoire de Gatsby nous est racontée par un narrateur qui ne l'aime pas beaucoup :
« ... [Gatsby]... représentait tout ce pour quoi j'éprouve le mépris le moins affecté qui soit. Si la personnalité est une suite ininterrompue de gestes réussis, alors il y avait chez lui quelque chose de somptueux, une sensibilité aiguë aux promesses de la vie, comme s'il était relié à l'une de ces machines complexes qui enregistrent les séismes à dix mille kilomètres de distance. Cette réactivité [...] était une prodigieuse disposition à l'espoir, une aptitude au romantisme dont je n'ai jamais rencontré l'équivalent chez quiconque, et que je ne retrouverai sans doute jamais. »
De quoi s'agit il au juste, avec ce Gatsby ? Il est riche, donne de somptueuses fêtes, mais cette richesse ? Nous sommes en 1922, les années folles, les années jazz, peu de temps après la guerre, qui a laissé des traces vives chez ceux qui ont combattu, mais lui, y a-t-il seulement été ? D'où vient-il, sa famille ? Et qu'attend-il de Daisy, si mal mariée à Tom, son très wasp et forcément antisémite époux, et qu'il semble vouloir séduire ? Tout cela sous les yeux, bleus et gigantesques, du docteur T. J. Eckleburg, dont la rétine mesure un mètre de haut : « Ce sont des yeux sans visage qui vous regardent derrière une paire d'énormes lunettes jaunes posées sur un nez inexistant » -- on l'aura deviné, un énorme panneau publicitaire sur la route de West Egg où se passe l'action.

Tom et Daisy brillent... Gatsby est attiré, il se perdra :
« C'étaient tous deux -- Tom et Daisy -- des insouciants, ils cassaient les choses et les êtres, puis allaient se mettre à l'abri de leur argent, ou de leur prodigieuse insouciance, ou de ce qui les liait l'un à l'autre, et ils laissaient à d'autres le soin de nettoyer les saletés qu'ils avaient faites... »
Histoire banale, sans doute, du parvenu d'origine obscure, et que le vrai monde qu'il a la prétention de vouloir pénétrer finira par détruire. Mais le propre de la littérature, ce n'est pas de raconter des histoires, mais une manière de les raconter. Et avec Gatsby, Fitzgerald a très bien su comment raconter.

Lire et relire.

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